Fort de plus d'une trentaine de longs-métrage dans tous les genres possibles et inimaginables, (manque peut-être à son palmarès un swashbuckler (film de cape et d'épée), un western, une comédie musicale (plus pour trés longtemps), un vrai film d'horreur et un film de pirates), Spielberg s'est rapidement imposé depuis ses débuts émérites télévisuels jusque dans Duel en 1972, téléfilm qui remonté et rallongé a eu les honneurs du cinéma, comme un trés grand réalisateur, et un "auteur" dans le sens où ses thématiques sont toujours les mêmes et où ses plans signatures sont reconnaissables en un clin d'oeil, que ce soit le travelling arrière qui isole un personnage au milieu d'une foule, le travelling circulaire de dévoilement, les plans symboliques à base d'ombre, de reflets ou ses transitions habitées (la dernière la plus évocative étant ce sublime passage sonore et visuel d'une rafale de mitrailleuse à une hélice d'hélicoptère puis à un passage de touche sur une machine à écrire).
Tout ceci pour quiconque a l'habitude de pratiquer le cinéma de Steven Spielberg, se voit comme le nez au milieu de la figure peu importe le film auquel on est confronté. Cette chasse à l'easter shot ou à l'easter movement (de cam) agissant comme autant d'easter egg de son cinéma est quasi instinctive pour quiconque s'intéresse en profondeur à ce dernier et nul exégète de son cinéma ne s'interroge plus avant sur le sens à donner à tel ou tel plan, telle ou telle correspondance ou transition. Il n'en a plus besoin.
Quand on "parle" le Spielberg couramment, tout coule de source, c'est peut-être une des raisons pour lesquelles le cinéaste n'a jamais enregistré un seul commentaire audio de son oeuvre de sa vie. Tout est donné à qui fait l'effort réel de vouloir le voir.
De sorte que quiconque a vu réellement Minority Report, ne peut pas sortir de sottises comme quoi c'est un film pro Bush. Quiconque a vu de manière réel The Post son dernier, ne pourra pas dire que son pamphlet anti-Trump est inefficace (vu qu'il n'y a pas de pamphlet appuyé anti-Trump dans ce film), et ainsi de suite. Un réal qui est humaniste et anti-guerre comme lui, ne va pas se révéler du jour au lendemain misanthrope et pro-conflit, ou alors bien malgré lui, quand on ne décide pas à l'avance du propos que devra représenter son film.
Ready Player One ne déroge pas à la règle. Présenté un peu partout dans le monde de la VR et à grands renforts de "simulation dédiée" comme le film qui va montrer l'intérêt et le renouveau de la VR (déjà débutée dans ses premiers balbutiements grands public entre 1980 et 1990+) ; ce dernier ne parle en réalité pas tant de la VR que d'une illustration plutôt bien fichu des mondes persistants alternatifs, comme le fut le simulateur de vie, Second Life, débuté en 2008 et qui fête cette année comme par un fait exprès ses 15 ans.
Le prétexte de la VR est ici une manière plus sexy (dans sa forme plus que dans son fond) pour inclure son propos dans le prisme du cinéma, du renouveau cinématographique, des révolutions FXieuses, autant que d'un retour personnel et autocritique de son créateur sur son implication dans ce qu'a été le cinéma dit de blockbuster (terme non naît avec Jaws comme le veut la légende mais clairement remis au goût du jour avec son succès soudain). Et ce depuis ses grandes étapes personnelles, Jaws-Jurassic Park-War of Worlds, et technologiques en règle générale (Polar Express, Beowulf, Avatar, Tintin). De sorte que quiconque attend en venant voir RPO un film critique, explicatif ou laudatif de la VR repartira fort déçu, car le sujet de la VR n'est là que pour parler immersion, et immersion cinématographique particulièrement. La VR ne sert basiquement qu'à illustrer la possibilité d'être "autre" offerte par le "monde virtuel de l'OASIS", car similairement à Second Life, et au livre Ready Player One de Ernest Cline sorti en 2011, l'OASIS est un open world dans lequel prend place une quête pour le détenir sous forme de jeu vidéo et d'énigme, une chasse au trésor pour ravir l'âme (easter egg) de ce Willy Wonka moderne (pas un hasard si une des premières bande annonce s'ouvrait sur l'instrumental de la chanson du film de Mel Stuart, "Charlie et la Chocolaterie", (1971), "Pure imagination".
On peut tout faire dans l'OASIS, et on l'y préfère vite au monde réel. En particulier y mourir, même si la conséquence n'est que financière (perte de tous ses objets, tout son loot (les pièces et autres produits ramassés sur les cadavres des autres utilisateurs, achetés ou trouvés sur place). On peut y travailler (cf les Sixers, une sorte de mercenariat de gamers au service d'une entreprise IOI qui possède déjà les moyens de rentrer vivre dans l'OASIS et qui espère bien en prendre également le contrôle financier), mais aussi en être esclave (cf toujours chez IOI, des contrats de travaux forcés pour payer les dettes accumulées dans le réel, IOI semblant être un consortium unique, de type OCP (si ce n'est que comme on le verra à la fin, ils n'ont pas la mainmise sur la police), contrats qui rappelle dans leur déroulé autant le bagne que certaines heures sombres de notre histoire.
Tout ce monde virtuel est régi par un gentil programmateur, un peu autiste Asperger et un brin dépassé sans doute par l'ampleur de sa création, qui finit par casser sa pipe, et propose dans une effrayante autant que drôlatique scène de faux éloge funèbre tournée vraisemblablement bien avant sa vraie mort, une course au mérite pour devenir le possesseur exclusif et unique de l'OASIS. James Halliday, le dit Mogul du système propose ainsi à tous ceux et celles qui le veulent, trois épreuves donnant droit à trois clés, lesquelles clés permettant d'ouvrir une serrure à l'intérieur même de l'OASIS pour y recevoir sa récompense : le contrôle TOTAL de l'OASIS pour le gagnant.
C'est là que le film débute, et c'est là aussi que commence l'aventure du héros, Wade Watts (prénommé ainsi par son père parce que ça faisait nom de super héros), orphelin vivant avec sa tante, et son petit-ami du moment.
Au premier degré de visionnage, Ready Player One est un conte philosophique d'apprentissage typique, type Candide ou autre, suivant le monomythe de Campbell et dans lequel un gamin ordinaire va se dépasser et vivre une aventure extraordinaire qui va le transformer en homme, en défaisant un antagoniste archétypal et gagnant le coeur d'une demoiselle en détresse. On aime ou pas, les clichés, les archétypes et autres passages obligés de ce genre, mais lorsque qu'on trouve le second degré de visionnage, on entre alors dans une autre dimension (un peu comme quand on perce à jour le sens profond du jeu Braid) et le film prend alors des airs de réflexion autobiographique d'un créateur au crépuscule de sa vie (oui je pense qu'à 71 ans et des brouettes, on pense plus à la fin de sa vie qu'à sa naissance) qui effectue un tour d'horizon sur son passage sur terre, et l'héritage qu'il va laisser aux générations à venir.
Nous nous proposons de traiter ici les deux facettes de ce film. Trés matériellement, le film s'ouvre sur le logo de Amblin, la société de production première de Steven Spielberg. Promesse d'un film d'aventure ludique, The Post ayant été produit par Dreamworks, sa seconde société de production. Puis le film débute par un plan séquence au son de la musique "Jump" de Van Halen, (musique qui avait accompagné déjà tous les trailers du film). Déjà il est plus que rare (surtout chez Spielberg) de voir les musiques des trailers se retrouver telle quelle dans le film fini mais en plus, même une musique non orchestrale chez ce dernier est plus que rare. Nous savourons donc cette dernière en suivant le plan séquence entièrement en dur (tout le film est en prise de vues réelles, oui oui, cf le propos sur la performance capture tenu en ces pages, quelques critiques plus loin) qui nous fait découvrir le héros, Wade Watts de la sortie de son habitation (un mobil home miteux faisant lui-même parti d'une juxtaposition de mobil home). On le récupère ensuite à l'entrée de sa planque, son hâvre, à l'intérieur d'une camionnette (on retrouve ici le goût de Steven Spielberg pour la "voiture" en règle générale) là où il se connecte à l'OASIS. Spielberg nous dit à travers ce plan séquence, "ok les gars, vous allez voir que je maîtrise la caméra, et que ce plan séquence que je vous propose, en quasi dur va me permettre d'asseoir auprès de vous ma légitimité en tant que réalisateur pour le second plan séquence qui suivra et qui sera lui (toujours en prise de vues réelles), entièrement en cinéma virtuel (performance capture)."
Dans ce plan séquence, qui intervient juste après deux plans : un plan large travelling avant d'ensemble qui permet de découvrir le lieu puis le personnage qui sort de son mobil home, et un plan moyen de dos qui permet de découvrir l'envers de l'OASIS. Ce plan séquence dévoile la partie qu'on ne voit pas quand on est à l'intérieur, les humains sans leurs autours CGI mais avec leurs défauts, disparités, âge, condition sociale et couleurs de peau différentes et la publicité omniprésente. Rien que cette idée est un tour de force incroyable qui mérite à lui seul le visionnage du film. Sans aucun dialogue, Spielberg nous présente un monde complexe de faux semblants et de mélange disparate de réel et d'irréel et tant de fluidité force le respect. Le plan séquence se termine, lorsqu'un drône vient apporter une pizza "Pizza Hut" à un habitant de la pile de mobil home et des lors, plusieurs plans courts achèvent de présenter l'univers réel.
On pourrait se dire, mais quoi, Spielberg est un maître et il est pas foutu de faire un plan séquence au drône propret de l'ouverture du film jusqu'à la fin de sa descente des piles... Certes, on pourrait se dire ça, mais c'est bien mal connaître Steven Spielberg, car ce plan séquence multiplement interrompu est surtout là pour introduire le véritable tour de force du film, le plan séquence de découverte de l'OASIS qui lui ne contient aucune référence publicitaire (les quelques références publicitaires en tant que placement de produit manifeste seront dans le monde réel uniquement) et qui est un véritable plan séquence, de la posée du casque de VR de Wade jusqu'au moment où Wade change son avatar de skin (NDRL : change sa représentation virtuelle d'apparence (peau, cheveux, habits, etc...).
D'ailleurs, avant que Wade chausse ses lunettes VR, Spielberg nous donne son propos en 3 plans courts, premier plan de profil, Wade se prépare à chausser ses lunettes, une transition par le cordon du casque (siglé IOI d'ailleurs, preuve en est que depuis la mort d'Halliday ils sont partout sauf dans le contrôle de l'OASIS) nous amène à un raccord sur son visage en CGI cinéma virtuel, et enfin, on entre dans son casque, et on voit par ses yeux (la 3D et la VR) le choc est encore plus palpable et immersif en visionnage 3D d'ailleurs, qu'en 2D.
Après l'explication de ce qu'est l'OASIS et de qui est Halliday, Wade nous présente le projet de fin de vie du mogul : trouver un digne représentant de sa pensée pour lui succéder à la manière d'un Willy Wonka cherchant son Charlie. Et nous découvrons la première épreuve, la course de voitures.
Je vais me permettre cette digression interprétative parce que Spielberg a fait rajouter cette épreuve dans le scénario, sans se créditer dans les scénaristes, comme souvent chez lui. Mais bruit de couloir ou pas, cette épreuve n'est PAS dans le livre. On retrouve donc encore une fois l'automobile, champ de tous les possibles chez Spielberg, et on fait connaissance avec les principaux protagonistes de l'histoire, sans oublier les antagonistes, qui sont au nombre de 3 entités différentes : la tête (Nolan -non ne riez pas- Sorrento, chef directeur de IOI fournisseur d'accès internet et de matériel VR de ce qu'on sait dans le film ; les jambes (les Sixers, des employés mercenaires qui travaillent pour Sorrento de leur plein gré, pour le profit et le matériel de pointe mis à leur disposition, avec un skin unique et apparemment l'interdiction d'en changer) et enfin les petites cellules grises (des fanboys geeks de la culture et de la vie de Halliday, garçons et filles, passionnées par le maître et qui aident Sorrento à gagner le concours, sans doute pour les mêmes rêves de gloire et de technologie de pointe que les Sixers). La course débute, impossible, surréaliste, cumulant les pièges, les chausses-trapes, le skills extrême (NDRL niveau d'un gamer dans un jeu qui lui permet de progresser), et une inimitié sans pitié à qui sera le meilleur. Mais c'est bien mal connaître Halliday qui voulait depuis longtemps éliminer les barrières, et les règles (rappel d'un certain film sorti en 1999 et qui fête bientôt ses 20 ans, tout en nous invitant à croire à l'incroyable). Zed (l'avatar de Wade), nommé aussi Parzival (en référence au conte du Graal, et à celui qui découvrit seul la coupe contenant le sang du Christ), échoue face au boss de la fin du niveau, l'imbattable King Kong (qui fait aussi effet de Donkey Kong si on veut référencer un jeu vidéo), et il empêche Art3mis, une jeune geekette de subir le même sort, laissant sa moto se faire pulvériser par le singe géant.
Cette course peut se prendre comme la course épreuve du jeu de Halliday bien évidemment, mais si (comme cela a été confirmé par Spielberg) on admet que RPO est aussi autobiographique, on a donc la course comme une métaphore du cinéma, et Halliday comme Spielberg (également confirmé par Spielberg). Les Sixers, tous interchangeable avec le même skin, et plus ou moins les mêmes skills devenant les Yesmen (et women) d'Hollywood, et Nolan Sorrento devenant un de ces producteurs plus intéressés par l'appât du gain, ou de la franchise dont chaque film serait aussi formaté et identique que le précédent, car justement non dirigé par un auteur, donc reproduisant ad nauseam, les mêmes gimmick et références. Quant à Wade, il ressemble lui aussi fortement à Spielberg, mais un Spielberg plus jeune ou qui chercherait une nouvelle jeunesse on va dire. Spielberg ayant évoqué l'idée de se réinventer pour ses prochains films.
En ces temps de remake, reboot sequel prequel, requel, seboot ^^ que nous dit Spielberg avec cette première partie de la course ? Que Spielberg (Halliday) se cherche un héritier, et que ayant déjà poussé les putters au-delà du possible ; jusqu'à rendre hommage à King Kong dans son vrai film Jurassic Park (film matriciel pour Spielberg, autant que pour Jurassic Park) ET à montrer un clin d'oeil bref mais efficace à ce même Jurassic Park dans RPO, ainsi que King Kong en fin de parcours ; il semble affirmer que la course à la surenchère ne mènera personne nulle part, (Spielberg y compris cf Wade) sinon à la mort (des réalisateurs, des genres, du cinéma).
On retrouve quelque part, de récentes déclarations de Steven Spielberg, qui avait annoncé qu'il suffirait que quelques grosses machines de guerre se vautrent en beauté au box office pour annoncer la mort d'Hollywood.
Wade, va donc compulser les mémoires journaux vidéos dans le musée de Halliday pour trouver une parade pour gagner la course. Et il la trouve au détour d'une phrase anodine de Halliday en apparence qui demande à son associé Ogden Morrow à briser les barrières, et à se foutre des règles, pour revenir en arrière, le pied collé aux champignons. Et pourtant ayant vu ces journaux vidéos plus de 1000 fois, Wade-Parzival ressent la même décharge électrique dans le haut du cortex que quand on trouve la solution à une énigme particulièrement ardue de point'n click (NDRL : jeu vidéo d'aventure qui propose des énigmes à base d'objets et de quelquefois de verbe d'action tel que : tirer, pousser, ouvrir, fermer, etc... et dont Steven Spielberg lui-même, écrivit un scénario de SF particulièrement brillant, The Dig pour l'entreprise Lucasarts de son ami de toujours Georgie Lucas). Il entend pour la première fois le propos de Halliday et le met en pratique.
Lorsque la course débute, Wade part en marche arrière à toute vitesse et il gagne la course, bien évidemment. Si on repart dans notre second niveau de lecture que se passe t-il dans cette séquence. Wade (Spielberg ou son héritier) rebrousse chemin mais en marche avant dans la course, il remonte littéralement le temps, jusqu'aux origines de la surenchère, King Kong pour peut-être y trouver de nouvelles icônes, de nouvelles références propres et ainsi gagner la course, mais surtout le coeur des nouveaux spectateurs. Wade passe en sous-marin sous tous les pièges, toutes les références de ce siècle, et les voyant avec l'oeil du sage, il peut alors les étudier et les comprendre. Tandis qu'en surface, les Yesmen d'Hollywood, continue à tenter de surpasser la surenchère, en produisant eux-mêmes une surenchère dans un tracé formaté, connu et pourtant toujours aussi casse-gueule, cf les nombreux "die and retry" des Sixers (NDRL : Le "die and retry" est un terme vidéoludique qui caractérise les tentatives répétées d'un jeu qui fonctionne par pattern (routine) que le joueur apprend quasiment par coeur à force de mourir pour les surpasser et gagner le jeu). King Kong apparaissant dans le film et le jeu de l'OASIS comme une icône indépassable de la surenchère (d'autant plus amusant quand on sait que le remake Kong est sorti il y a peu).
Après cette première épreuve, on découvre l'antagoniste du film, Nolan (je m'y ferais jamais hein ^^), Sorrento en plein rêve d'un projet quand il aura gagné les 3 épreuves : rendre l'OASIS zone commerciale et vendre de la pub à 80% de la vision du cortex du joueur. Le gars qui ne doute de rien. D'ailleurs, si on voulait aller plus loin dans l'interprétation, on pourrait aussi se dire que Nolan Sorrento représente la part plus "sombre" de Spielberg, sa part de financier (puisque Spielberg produit lui aussi du cinéma doudou, même si il n'en réalise jamais), et que Jurassic Park, mettait déjà en scène un travelling avec au premier plan une étagère avec les produits dérivés du parc (et donc du film). Peut-être une manière de faire sa propre autocritique de son état de financier.
Sur les avatars, et leurs représentations, beaucoup de spectateurs ou de critique se sont étonnés que pouvant être ce qu'ils veulent, chacun des protagonistes restent dans son sexe et son genre et que les méchants aient des faciès de méchants même dans le virtuel et pas par exemple un skin de mon petit poney. Mais ça s'explique trés facilement, contrairement à la plus grande majorité des joueurs, à l'exception de Aech, les personnages sont contents de ce qu'ils sont, et n'ont donc pas besoin de se cacher, ce qui vaut également pour Saito et Sho, les deux otakus japonais (qui pour des raisons de facilités scénaristiques, vivent au même endroit que les 3 autres héros). Et pour les méchants, si on ne sait pas du tout à quoi ressemble I-rok, juste à peine sait-on qu'il aime les rituels (cf sa manière de prononcer l'orbe de protection d'Osuvox avec un ton trés solennel), Nolan Sorrento lui est un financier, une coquille vide émotionnellement, il ne s'intéresse pas au monde des geeks, et ne voit pas l'intérêt d'en faire partie, si son personnage virtuel est un skin d'homme musclé, blanc et agressif, c'est justement parce qu'il veut dominer, et terroriser les héros, et héroïnes et que changer de peau, ne l'intéresse pas. D'ailleurs il est incorrect de dire que Sorrento n'est pas lui aussi influencé par le monde d'Halliday, car à mieux y réfléchir, son skin est le personnage des comics Superman, (machoire carrée, visage massif et même la mèche en accroche coeur, tout y est), donc c'est pas non plus un méchant cliché. Et si ça se trouve, I-rok est une petite vieille par contre, et quelque part, on s'en moque un peu de son identité, c'est sa présence qui est intéressante.
La deuxième épreuve, requiert toute notre attention dans le principe de Cinéma, et pourquoi le message de Spielberg n'est pas du tout si nostalgique qu'il semble l'être. Si on part toujours du principe que Halliday est Spielberg, alors cette référence au film de Kubrick, lui-aussi totalement absent du livre n'est pas du tout anodine, et lorsque Art3mis se retrouve à littéralement bondir de zombies en zombies en les piétinants et les désarticulants pour produire quelque chose de nouveau, et réparer par là-même, la pire inaction de Halliday, qui l'a obsédé au point de la retranscrire dans une de ses épreuves pour son champion ; Spielberg nous propose encore une vision, plus que symboliste, pour se détacher des anciennes références sans les abandonner complètement, mais il ne nous l'impose pas, elle s'impose d'elle-même à la vision pour qui sait que Kubrick était le meilleur ami de Spielberg. Et tout aussi non compatible semblent-ils être pour le commun des mortels et des critiques, ils ont eu cette si longue amitié "d'amour haine" pendant 18 ans, avant que Kubrick ne meurt, léguant à Steve, la lourde tâche de réaliser le monument de SF imaginé par Stanley : Intelligence Artificielle et qu'il termine par ses quelques mots pudiques empreints d'une profonde tristesse et amitié profonde "for Stanley".
Enfin, on passe les diverses péripéties pour arriver au coeur de la 3eme épreuve, Halliday-Spielberg au crépuscule de sa vie, propose au Wade-Spielberg jeune, ou Spielberg cherchant à se réinventer d'accomplir un jeu, non pas pour le gagner comme on pourrait d'abord le penser, mais pour trouver le petit détail, l'easter egg ultime, la première apparition d'une identité dans un jeu, le programmateur qui cache son nom dans le programme, et ce que nous dit ici Spielberg de fondamental sur le cinéma, c'est que pour qu'un film ait une âme, il ne faut pas qu'il soit l'oeuvre d'un yesman (tous les mercenaires d'IOI meurent en croyant pouvoir réussir à terminer les jeux, sans penser à regarder si comme dans la première épreuve, si la réponse n'est pas à prendre à contrario justement, ne pas gagner à tout prix, mais durer par son identité). Pour qu'un film ait une âme, il faut que son identité et la raison pour laquelle on la produit et réalisé soit avant tout la passion pour le cinéma, et la passion tout court.
Et lorsque lors de la bataille finale, Wade convoque tout l'OASIS, il ne s'agit pas moins d'un message qu'il adresse aux geeks de la planète de s'unir pour arrêter de se faire vendre de la nostalgie à bon compte pour justement embrasser un regard beaucoup plus vaste et pluriel de la Création. Tout autant qu'aux réalisateurs de ne pas se laisser embobiner par des producteurs sans scrupules, jonglant avec leurs désirs de faire des films.
Lorsque les 3 clés sont restituées, et ouvrent le portail, la surprise est total, puisqu'en lieu et place d'Anorak, l'avatar virtuel de Halliday, Wade ne se trouve pas moins qu'en face du "vrai" Halliday, et de son soi enfant, et que dans cette scène que n'aurait pas renié Kubrick avec la séquence avant-dernière de 2001, Spielberg confronte son héritier, ou son lui plus jeune ou plus désireux de se réinventer à lui-même vieux et enfant, non pas un avatar, mais bien, probablement une intelligence artificielle ou un cerveau humain transféré dans le coeur de l'OASIS (et le rapport à Kubrick est ici bouclé) comme le sous-entend, le dialogue final entre Wade et Halliday. "Vous n'êtes pas un avatar ?".
Halliday livre à Wade le dernier easter egg, le seul, l'unique ^^, et lorsque Sorrento pointe son arme sur Wade dans le monde réel, il ne le tue pas, car il comprend quelque chose de son émotion pure, il est touché par la grâce de voir Wade pleurer face à un réel spectacle, alors ça peut paraître idiot dans le contexte mais si on se rappelle que Sorrento se voit un Superman maléfique dans l'OASIS, ça prend tout son sens, cette épiphanie n'est du coup avec cette révélation supplémentaire, plus si incohérente que cela. Sorrento n'est pas méchant en soi (même si il est quand même responsable de la mort de la tante de Wade, ainsi que de l'amant de celle-ci et d'autres habitants des piles) mais il est juste non connecté avec sa réalité, ce qui lui fait faire des actions mauvaises pour étancher sa soif de pouvoir. Lors de cette scène irréaliste où il voit le pouvoir de l'oeuf d'or sur le visage et tout l'être de Wade, il réalise alors l'iniquité de sa quête effrénée. Quant à ceux qui ne comprennent pas, pourquoi la foule ne lui tombe pas dessus alors qu'il a juste un flingue, demandez-vous pourquoi personne ne réagit dans une agression sexuelle par exemple dans le métro, alors que les agresseurs sont souvent inférieurs en nombre face aux usagers de la rame, et non armé, et vous aurez la réponse à votre soi-disant incohérence.
Spielberg nous livre donc ici dans RPO et avec le Bon Gros Géant, son film, le plus intime, le plus personnel, celui dans lequel il se livre bien plus que dans ses interviews trés policées et fortement politiquement correct, (à moins que sa timidité maladive et sa gentillesse positive ne soient pas du tout feinte, et profondément sincère). Un film dans lequel il propose aux apprentis cinéastes et à ceux qui vont lui survivre de garder un pied dans le réel (le mardi et le jeudi) et surtout de réinventer les codes et les références, même si il le dit trés bien aussi, aucun médium ne pourra se départir d'une certaine part de référence. Les références ne sont pas le plus ou le moins important, mais en revanche, ce qu'on en fait est clairement crucial. En attendant justement de voir ce qu'il fera de cet héritage des anciens à réinventer, pour son prochain film, une réadaptation totale de l'oeuvre West Side Story, de 1957, pas un simple remake du film donc. Rendez-vous est donné.